Bonjour,
Je propose d'ouvrir une file à part, à partir de ce texte qui m'était venu il y a quelques années. Il me semble qu'il pourrait inspirer en creux l'initiative lancée par NP. Bien entendu, si cela pose problème, je ne serai pas vexé qu'il soit mis ailleurs ou retiré.
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N'avez vous pas remarqué que nos villes, aujourd’hui si bruyantes, ont presque toutes perdu un bruit sourd, un son profond et puissant à la fois ? C'est qu'elles sont trop souvent orphelines de leurs rivières. Et de leur souffle. Quand elles n’ont pas été oubliées dans les nouveaux plans d’urbanisme, celles-ci ont définitivement disparu du paysage urbain, de la vie intime de leurs habitants, couvertes, busées, détournées. Et si quelques capitales sont toujours traversées par des fleuves, ils charrient des flots policés et parfois nauséabonds, où ne s'ébattent plus depuis longtemps poissons ni enfants.
Une ville traversée par une rivière sauvage est tout entière animée par ses pulsions vivantes, et ses habitants viennent au fil de leur existence, y jouer, s'aimer, rêver, se rencontrer, en battant comme autrefois leur linge, ou méditer sur leurs jeux passés.
Ce besoin d'eau, cette demande exprimée par beaucoup de citadins qui envahissent les parcs aquatiques, ne viendraient-ils pas de cette disparition sournoise, de ce manque profond, de cette présence qui n’apaise plus leurs angoisses ? L'exode massif des habitants des terres intérieures vers le bord de mer n'aurait-il pas quelques liens avec cette insatisfaction chronique?
Ainsi, nombreux sont les observateurs qui ont pris conscience que l'eau n'était pas seulement source de vie, élément indispensable à notre corps, mais un support essentiel à notre conscience.
Pour avoir nié la nécessité de l'eau vivante et libre, pour avoir effacé son contact avec les citoyens, les urbanistes ont tout simplement oublié la fonction de l'eau dans l'organisation de la société.
L'eau constitue un liant universel, fédérateur de tous les éléments simples. Dans la vie comme dans la circulation des idées et des biens. Elle fut un vecteur essentiel de la communication et du commerce. La ville étant une entité vivante n'échappe pas à cette loi universelle. La plupart des cités, petites ou grandes se sont moulées autour de son lit, se sont mariées avec elle pour se développer harmonieusement. Paris, Cahors, Vienne ou Barjols, se nichent dans ses méandres, l'enlacent dans les arches de leurs ponts, la bordent de leurs rives ou de leurs quais pour flâneurs ou mariniers. La rivière les a engendrées, ces villes se sont entièrement structurées autour de son cours; elles se dessécheront et mourront si, au nom de quelques raisons spéculatives, elles s'en débarrassent en voulant occuper sa place. Ou finiront noyées par le retour furieux de son flot.
Sa fluidité est si nécessaire au citadin, que dans les villes méditerranéennes, où les rivières sont trop souvent asséchées, il a multiplié les fontaines pour en conserver le murmure. Un miroir tellement indispensable, qu'il a parsemé ses jardins de bassins et de lacs. Un contact tellement vital, que depuis les grecs et les romains il a bâti thermes et piscines pour pouvoir s'y plonger voluptueusement, comme si la mer n'y suffisait pas.
Pour avoir oublié l'eau, nié son cours, Arles et Vaisons ont payé le prix fort. Pour s'être bâties loin d'elle, dans quelques champs à vaches, les banlieues et les cités nouvelles n'ont jamais trouvé d'âme ou d'identité à offrir.
Contrairement à quelques visions simplistes, on ne peut pas réduire l’eau à un réseau de tuyaux de plomb ou de styrène. Nous ne retrouverons pas le goût de vivre, nous n'obtiendrons jamais un minimum de qualité de vie acceptable, si nous ne décidons pas de redonner toute sa place à l'eau dans la Ville. Elle ne remplacera pas le dynamisme et la bonne moralité de ses citoyens, mais elle restera toujours le support de toute civilisation.
Redonnons à l'eau, la place qui lui revient. Dans notre environnement comme dans la cité. C'est notre peau qui le demande. Pour la sauver.